On lui donnait 40 ans à vivre. Il est rendu à 42, et il profite de chaque minute comme si c’était la dernière. Quitte à étourdir son entourage et à donner des sueurs froides à sa mère.
« Moi, j’ai encore 16 ans ! », lance Jean-François Fortin, les yeux bleus rieurs, assis dans son fauteuil roulant.
Il souffre d’amyotrophie spinale de type 2, une maladie héréditaire génétique rare qui entraîne une dégénérescence des muscles, y compris ceux essentiels à la respiration et la déglutition.
« Quand j’étais jeune, j’étais capable de me tenir debout, de manger seul », explique-t-il, attablé dans la cuisine de la maison familiale, munie d’un ascenseur. « Avec le temps, on perd toutes nos capacités. »
L’informaticien, qui habite avec ses parents et sa sœur cadette atteinte de la même maladie, a besoin d’assistance pour effectuer toutes ses activités quotidiennes. Mais ça ne l’empêche pas de sauter en parachute – il l’a fait – et de voyager.
Il y a deux semaines, il s’est envolé pour la Colombie avec son père et un ami. À l’heure actuelle, il se fait probablement dorer la couenne sur une plage, il déguste un calentado – un déjeuner traditionnel colombien qu’il « adore » – ou il sillonne le pays en autobus.
Tout ça, grâce aux progrès de la médecine. Depuis trois ans, Jean-François Fortin reçoit des injections de Spinraza, un médicament qui a stoppé la progression de sa maladie. Il est aussi suivi par une inhalothérapeute du programme national d’assistance ventilatoire à domicile (PNAVD), affilié au Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
Le PNAVD lui donne accès à un appareil respiratoire connu sous le nom de « bipap » et un autre d’« assistance à la toux ». Il dort avec le premier et utilise le second chaque jour pour dégager ses sécrétions et « entraîner » sa cage thoracique afin qu’elle demeure souple.
Son inhalothérapeute, Véronique Adam, peut suivre à distance ses données respiratoires et même modifier les paramètres de son « bipap » au besoin. « On lui permet d’avoir une qualité de vie, dit l’assistante-cheffe clinique du PNAVD au CUSM. S’il n’avait pas ces appareils-là, il serait hospitalisé. »
Jean-François Fortin s’est retrouvé à plusieurs reprises aux soins intensifs en raison d’infections pulmonaires. Ce n’est plus le cas depuis 2010, soit depuis qu’il a recours à ces appareils.
Il se sent « flambant neuf » après une nuit de sommeil de 8 ou 10 heures avec son « bipap ». Il traîne toujours l’appareil dans son sac à dos – « avec trois paires de bobettes, parce que tu ne sais jamais combien de temps tu vas partir », précise-t-il, le sourire en coin.
La maladie, pas un obstacle
De son propre aveu, Jean-François Fortin aime bien faire la fête. Il ne s’est jamais laissé arrêter par la maladie. Ses nombreux voyages – tous immortalisés sur son dos par des tatouages – en témoignent.
« Il y a des médecins qui veulent te décourager et te disent : “Tu ne devrais même pas voyager, sortir de chez vous” », raconte Jean-François Fortin.
Il ne les écoute pas. Il ne les voit tout simplement plus.
Selon Véronique Adam, des préjugés perdurent envers les gens dans sa situation. « Le personnel de la santé a souvent des opinions un peu mitigées sur la qualité de vie des patients avec des handicaps, affirme-t-elle. Souvent, ils pensent que tu ne fais rien dans la vie. »
Mais il y a de bons Samaritains. Comme ce chauffeur de taxi qui l’a reconduit chez lui à Terrebonne, l’a couché dans son lit et lui a installé le masque de son « bipap » pour ne pas qu’il réveille ses parents durant la nuit.
Et ces « locaux » en Colombie, devenus des amis, qui acceptent d’entreposer son matelas en mousse mémoire ou son hachoir à viande – il doit manger des aliments mous, sinon, il risque de s’étouffer – en vue de son prochain séjour là-bas.
« J-F », comme le surnomme son inhalothérapeute qui le suit depuis 15 ans, a le don de se faire des amis partout où il passe. Il a du « charisme ». « Il est toujours partant pour participer à des projets », ajoute Véronique Adam. Il figure d’ailleurs dans des vidéos de formation destinés aux professionnels de la santé.
Avec son témoignage dans La Presse, Jean-François Fortin veut encourager les gens souffrant d’une maladie neuromusculaire comme lui à recourir aux appareils respiratoires qui peuvent les maintenir en vie. Au départ, il s’était montré récalcitrant à les utiliser.
Il veut aussi « éduquer le monde ». « La population qui voit des machines, au début, c’est comme si tu es un extraterrestre. Mais de plus en plus, le monde ne me regarde même plus. »
Jean-François Fortin rêve maintenant de visiter la Grèce, un projet qui pourrait bien se réaliser. « J’attendais de trouver quelqu’un de fort ! » dit-il, badin.
De fort ? « C’est rien que des marches là-bas ! »
Jean-François Fortin a trouvé quelqu’un. Ne reste plus qu’à adapter les roues de son fauteuil roulant. Pour continuer de rouler. À 100 milles à l’heure.